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Cultivons la curiosité

La soupe aux choux

Le DVD.

Le DVD.

Voici donc une comédie française qui peut surprendre. Si je n'ai jamais adoré les films avec Louis de Funès, même étant petit, j'ai pas mal tardé avant de voir ce qui me paraissait être encore une énième comédie potache, lourde et donc pas forcément drôle. Je sais, vous avez bondi de votre assise en lisant ces mots, mais franchement un "L'aile ou la cuisse", "Les aventures de Rabbi Jacob", les Fantômas ou les Gendarmes, et bien je n'aime pas trop. Pourtant c'est ce cinéma qui a nourri ma jeunesse. Ultra rediffusés, les films de Louis de Funès étaient ce que je pouvait voir le soir à la télé, du coup j'en ai bouffé. Le fait marrant est que j'ai toujours réussi à échapper à "La soupe aux choux", qui, au delà d'avoir un nom improbable, ne me disais rien du tout. Ainsi cela va faire 10-15 ans que j'ai découvert le film culte de Jean Girault, et nous allons voir qu'il y a plusieurs niveaux d'interprétation et moult façon de voir ce film, petite bande annonce.

Vidéo de Les extraterrestres au cinéma.

En 1981, depuis quelques temps, la science fiction a gagné ses gallons de film culte dans les salles obscures, qu'elle soit proche d'une "Rencontre du troisième type" (film de Steven Spielberg de 1977), ou la plus spectaculaire "Guerre des étoiles" (même année mais chez son copain George Lucas), dès lors le cinéma français prendra la mode "alien" à sa sauce, nous offrant le pitoyable "Le Gendarme et les Extra-Terrestres", du même réalisateur que le film que nous voyons aujourd'hui. Quelques années plus tard, Louis de Funès veut adapter le roman de René Fallet, "La soupe aux choux" (de 1980) raconte comment deux anciens d'un village reculé, vont invoquer une entité extra-terrestre avec leurs... pets... et si un des personnages se retrouvera exclu de cette rencontre, le Glaude va se lier d'amitié avec sa vieille Denrée, lui faisant quelque peu oublier qu'il n'arrive plus à suivre ce monde qui se modernise trop à son goût, quitte à oublier ses aînés.

En 1981 sort donc le film, adaptant fidèlement le roman de René Fallet. Et, comme je l'ai dit, il y a plusieurs façons de le voir. Déjà, la façon que je nomme "Michael Bay", on déconnecte le cerveau, et nous voilà en face d'une comédie potache, faible, ayant des scènes frôlant la débilité, mais pouvant fonctionner si on ne réfléchit pas trop. Ceci ne devrait pas être trop compliqué à la vue des chiffres hallucinants que font les comédies françaises à la con en ce moment au cinéma. Rien que l'invocation de la Denrée, à base de pets, avec une scène incroyable, digne d'une bande dessinée pour le coup, mais aussi le costume complétement ridicule de l'alien, sans omettre sa façon de parler, à base de... blolololololouuu.

La première fois que l'on voit le film, on se marre, entre la façon de parler très locale et peu instruite, les ch'tits canons par exemple, mais il subsiste plein d'autres expressions que l'on a connu si nous avons grandi en campagne. Les gags sont aussi visuels, comme quand Jacques Villeret (la Denrée) choit de sa chaise de surprise, ou quand le brigadier chef de la Gendarmerie place un faux Gendarme qui hoche la tête pour faire croire à la folle du coin qu'elle s'adresse bien à lui.

Voir aussi notre alien apprendre à parler, mais à la façon du Glaude, donc l'élocution est spéciale. Il y a aussi le côté ancrée dans un temps désormais révolu, celui des agriculteurs (je voulais dire paysans qui n'est pas péjoratif ici, mais comme les grands citadins estiment que paysans = bouseux, bah déjà je leurs pisse bien à la raie à ses cons, et ensuite, bah du coup je dis agriculteurs), et surtout des anciens, les laissés pour compte d'une société préférant l'expansion économique au bien vivre de ses aînés. Après tout ces derniers ne sont que des profiteurs, des retraités touchants une rente pour faire chier les actifs. Mince, je suis partie dans ma deuxième façon de voir le film là, beaucoup moins conne qu'on peut l'imaginer.

Si je résume, si on déconnecte son cerveau, on tombe sur une comédie visuelle, bien conçue, plutôt marrante, avec des personnages attachants, et possédants des gags dignes de la BD mais aussi du dessin animé, il n'y a qu'à voir le coup du pommier perdant ses fruits sur le Bombé pour faire ce parallèle là. La fin est joviale, rigolote, enfin, marrante pour les alcooliques français, la Denrée a tellement pris de ch'tits canons qu'elle ne pilote plus tout à fait droit, et tout va bien dans le meilleur des mondes, vu que Francine possède une fortune, le Glaude, le Bombé et le chat vont vivre jusqu'à 200 ans dans un monde qui les érige au rang de semi-Dieu pour leur savoir sur la soupe, mais aussi l'eau du Bombé. Enfin bon, c'est beau, on est content, on a rigolé devant une comédie capable de déclencher le rire de façon simple et efficace. Sur cette façon de voir le film, j'avais aimé, moi qui suis compliqué niveau rire pourtant. Mais j'avais perçu un truc, une sorte de critique ouverte de la société de consommation qui se fout de ses "rebuts", pire, une critique du fossé se creusant entre les générations, ainsi, une deuxième séance s'imposait, mais pas de suite. Ce que je n'imaginais pas, c'est bien de tomber sur un script tellement bien écrit, qu'il fait passer à la tragédie ce film que tout le monde juge hilarant.

Car oui, le voir une deuxième fois en ne cherchant plus le côté comique va vous faire pleurer, et pas de rire. Déjà, je ne l'avais pas dit, mais le Glaude est veuf, et il passe ses journées à boire. Mais attention, il ne boit pas seul, il est plus convivial de partager son canon de rouge avec le Bombé, homme boiteux ayant une bosse, faisant écho au "Bossu de Notre Dame" de Victor Hugo. En plus, les lieux sont insalubres, il manque une partie du toit de la maison du Glaude, c'est sale, il dort dans des draps jamais lavés, ne prend même pas la peine de fermer ses volets, enfin bon, on peut dire qu'ils ne mènent pas la grande vie, et seule son amitié avec son copain de toujours le tient vivant. Alors quand Claude Ratinier craint d'avoir du diabète, l'empêchant de boire autant d'alcool que voulu, c'est la catastrophe. Mais très vite le naturel revient au galop, et on prendra une anisette avec l'eau à parfaite température de Francis Chérasse. Oui, ce sont les noms des personnages pour le Glaude et le Bombé.

Donc déjà, on parle d'alcoolisme, c'est clair et net. Même si on a tous connu un papy ne pouvant se passer de son ch'tit canon, il est clair que de là à boire 5 ou 6 litres par jour, non. D'ailleurs, je vous vois venir avec vos "ouais les vieux c'est rien que des alcooliques", sachez qu'en campagne c'était une habitude issue de la première guerre mondiale, mais passons, je n'ai pas assez de savoir pour épiloguer là dessus, sachez juste que ce n'était pas comme de nos jours. D'ailleurs nous verrons que le choc des générations sera dénoncé ici. Mais avant tout parlons de la façon dont l'autorité traite ses concitoyens quand la folle du village puis l'alcoolique, viennent dire, avec un déroulé similaire, qu'ils ont vu une soucoupe volante. Au lieu d'enquêter, de prospecter les autres habitants, le chef de la Gendarmerie enverra chier le Bombé. Ce dernier venant juste après la folle. Celle ci nous avait montré une scène brève mais sidérante, quand son frère appellera le Gendarme pour lui demander de ne pas tenir compte de ses propos farfelus. Imaginons qu'elle vienne dénoncer son frère de vol, ou de viol, genre le Gendarme croira qui ? Oui, si vous avez vu le film, vous vous dites que je vais loin, mais à mon avis, il y a une envie de dénoncer les idées préconçues, genre c'est la folle du village alors tout ce qu'elle va dire sera dingue.

D'ailleurs, le Bombé prendra très mal le fait que le Gendarme ne le croie pas, le pire étant que son meilleur ami, le Glaude, lui non plus ne l'ai pas cru (jouant ainsi un double jeu). Et là, on entre dans le thème principal du film, le suicide. Rien de plus, rien de moins. Oui, cette comédie potache avec un alien aux couleurs criantes parle du suicide. Et ne s'en cache pas. La tentative du Bombé, avec l'inquiétude incroyable de son ami, ne cessant d'aller voir si il l'a fait ou non, afin de lui porter secours. Car sous ses aspects ronchons, et le fait qu'il s'engueule avec son ami, le Glaude ne s'imagine pas vivre sans le Bombé, c'est ce qu'il dira à la Denrée quand celle ci lui proposera un monde meilleur.... genre on ne parle pas du tout du paradis là ?

Dois-je parler de Oxo, cette ch'tite planète qu'est même pas sur nos cartes ? Un monde triste, où les émotions n'existent pas. Le visage de Jacques Villeret n'exprimera rien au début, oui, on peut se marrer devant ses yeux grands ouvert, mais il y a une raison. La soupe de notre paysan sabotier va libérer les aliens d'Oxo. Leur donnant joie et réconfort. C'est d'ailleurs une description qu'en fait le Glaude la première fois qu'il en sert à l'alien. Comme si c'était issu de son enfance, insouciante et heureuse, bien avant la vieillesse, l'ennui et le rejet. Que dire aussi de cette phrase où le Glaude essaie de servir un canon à la Denrée, lui indiquant qu'il passera sur ses supérieurs avec ça. Oui, on peut y voir une apologie de l'alcool, oui, ça peut choquer, mais en même temps que fait l'alcool ? Il offre une sécurité et une plus grande confiance en soi. Pourquoi quand j'étais ado, les meufs sortaient toutes avec des mecs bourrés ? Parce qu'ils ont le courage d'aller les voir. De nos jours j'ignore comment cela se passe, mais on peut l'analyser ainsi, avoir confiance en soi (si possible sans alcool, c'est mieux) permet de déplacer des montagnes.

Un autre point abordé, c'est le choc générationnel. Avec là le retour à la vie de Francine, la femme du Glaude. Celle ci retrouve ses vingt ans et décidera de partir tenter sa chance à Paris avec un bellâtre. Si on aime le fait qu'elle apporte une présence féminine, changeant les draps, fermant enfin les volets, on peut aussi y voir une volonté de parler de l'égalité des sexes. Ainsi n'est-ce pas le Glaude qui lui cuisine une omelette ? Ne lui demande-t-elle pas de laver le sol ? Ne se plait-elle pas de sa condition presque esclavagiste de sa vie précédente ? Si pour elle ça se termine bien (elle finit riche alors que sa vie parisienne n'était pas si loin de celle avec le Glaude), on perçoit une tristesse dans son regard, son Glaude est parti pour un monde meilleur, n'embêtera plus personne. En gros c'est une lettre de suicide que Francine reçoit, et les Louis d'or sont les économies de son ancien mari. Si le comportement de Francine peut surprendre au début, surtout quand elle décide de partir à Paris avec le premier inconnu venu (un séducteur selon l'amie qui les présente), elle n'oubliera pas de venir dire au revoir à son mari, ayant un grand respect pour celui-ci malgré tout.

Mais le fossé générationnel intervient avec le très "speed" Maire. Qui rêve expansion économique, qui parle vite, qui ne tient pas en place, il est en quelque sorte la modernité, ou la société, au choix, qui va vite, très vite, trop vite pour les anciens. Il défoncera même la porte des deux copains qui ne voulaient pas le voir. Ce dernier partira en promettant de faire d'eux des animaux de cirque à qui on jettera des cacahuètes. C'est là que le film commence à faire réfléchir les téléspectateurs/trices de la comédie. C'est là que la première fois que j'ai vu le film, j'ai été choqué, c'est là que je me suis dit que ce film était plus puissant qu'une comédie débile à base d'alien au dialecte rigolo qui chute souvent de sa chaise et qui est invoqué par des pets. Le grillage, les gens (tous jeunes), le Maire venant savourer sa victoire et promettant de les réduire à l'état de poussière, tout pousse nos deux amis au suicide. Le Glaude va donc écrire la lettre d'adieu à sa Francine, et il est prêt pour le grand départ. Donc au lieu d'avoir une fin rigolote et heureuse, avec cette autre façon de voir le film, on tombe sur la mort des personnages, brisés par la société allant trop vite pour eux.

Et encore, je n'ai pas l'esprit assez affuté pour mieux approfondir mes arguments, mais je pense que vous avez compris l'idée. La prochaine fois que vous verrez le film, essayez de passer outre certains dialogues "si j'avais su je n'aurais jamais pété et au moins tu ne serais jamais venue", attardez vous sur le choc générationnel, le suicide, et aussi les clichés, je pense à la folle du village que personne ne croit. Le tout est bien mis en scène, même si le début est haché, j'ai cru voir un clip YouTube lors de la scène du docteur du début, ça va hyper vite presque comme un épisode de "Bref". Cela aurait pu être un film d'auteur chiant sur le malheur des anciens dans nos campagnes, les exclus de la modernité, et ce qui me choque le plus est que aujourd'hui encore ça fonctionne. Prenez la volonté de tout faire passer par l'informatique ou le numérique en général, les impôts par exemple. Comment font les personnages âgées de nos campagnes pour déclarer leurs impôts ? Elles qui n'ont pas connues l'informatique ? Oui, il existe des personnes âgées qui maîtrisent parfaitement les nouvelles technologies, mais les autres, on en fait quoi ? On attend leur suicide, après tout ça fera une retraite de moins à payer vu que ce ne sont que des profiteurs ? Enfin bon, je pars un peu trop loin, sachez juste que ce film est moins stupide qu'il n'y paraît. Je l'avais aimé dans sa partie comédie, offrant des gags visuels mais aussi des dialogues savoureux, je l'ai adoré dans sa version plus pessimiste, parlant du suicide et de la façon dont les jeunes perçoivent les personnes âgées comme des sangsues alcooliques ne méritant que la mort. À voir des deux façons, le film fonctionne, même de nos jours.

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