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Cultivons la curiosité

Une affaire de famille

Une affaire de famille

Parfois, on sent indéniablement que l'on fera partie du public pour tel ou tel film. Ainsi "Patients" m'avait convaincu sur son sujet et sa bande-annonce. Pour "La loi du marché" c'était grâce à Inod, son code Canal+ et sa recommandation. Mais alors "Une affaire de famille" c'est sur quoi ? Qu'est ce qui peut bien me pousser à aller voir un film ayant eu la Palme d'Or du festival de Cannes en 2018 ? Sachant que ce sont souvent des films chiants qui sont primés. Oui, "Pulp Fiction" et "Fahrenheit 9/11" étaient excellents, mais faisaient office d'exceptions confirmant la règle. En sachant que le second a obtenu la Palme d'Or uniquement car le président du jury était le réalisateur du premier. En gros sans Quentin Tarantino, Michael Moore pouvait se brosser pour avoir cette récompense.

C'est mignon (et ce n'est pas un tout petit Breton), mais ceci ne vous explique toujours pas pourquoi j'y suis allé. L'horizon de l'explication s'obscurcit encore plus si je vous dit que c'est sans voir la bande-annonce que j'y suis allé. D'ailleurs j'ai bien fait tant elle est découpée pour faire croire des choses aux futur.e.s spectatrices et spectateurs. Vous verrez ça juste après. La réponse tient en plusieurs raisons. Premièrement, et elle est totalement débile, j'aime bien le Japon. L'archipel possède une aura certaine sur ma personne, qui fait que quand un film dit "alternatif" sort, il m'intrigue. Ce n'est pas le Japon qui est entre modernité et tradition qui sera décrit ici. On le verra à travers le pitch (que j'avais lu). Ensuite, c'est surtout l'instinct. KORE-EDA Hirokazu, et son cinéma, que je ne connaissais pas, possède une approche réaliste, presque documentaire, du cinéma donc. Un peu à la façon de "La loi du marché", et c'est sur cette sensation, cet instinct, que je me suis basé pour y aller.

Vidéo de Arthings

Pfff, tu parles d'une excuse à la con. Mais j'avais clairement envie de voir une autre vision, une autre version même, du Japon. Moins magnifiée, peut-être même plus brutale, plus violente. Non, pour le côté violent, j'ai le cinéma de MIIKE Takashi, et dans le sens brutal, je pensais "brut" en fait, je me suis mal exprimé. Plus un instantané d'un pan de la société méconnu et même méprisé, les pauvres.

Ainsi, le film parle de la vie des SHIBATA, qui habitent toutes et tous chez la mamie de la famille. Ils/elles enchaînent les boulots, les larcins, tout ça pour survivre, en paix. On débute d'ailleurs par une "chasse", un vol à l'étalage, que le titre original évoque (contrairement au titre français). Une technique rondement menée par le tout jeune Shôta et son tonton Osamu. Sur le retour ils verront une toute jeune fille de 5 ans, sur la palier d'un appartement, et qui semble frigorifiée.

Osamu décide de la mener dans le foyer SHIBATA afin de lui offrir un repas chaud, il semblerait que ce ne soit pas la première fois que Yuri se retrouve enfermée dehors. Pire, elle a des marques qui prouvent qu'elle est maltraitée. Et quand la femme de Osamu, Nobuyo, décide qu'il faut la ramener, la dispute qui éclate dans le foyer de Yuri, et qui s'entend du bout de la rue, fera dire à la femme que Yuri peut bien rester une nuit.

On y entendait les parents de Yuri dire qu'ils ne voulaient pas de ce poids qu'est l'enfant. De façon très violente d'ailleurs. On appréciera la justesse avec laquelle réagit Osamu, ayant un peu peur quand même. Ainsi, on découvre SHIBATA Hatsue, la mamie qui est censée vivre seule dans cette petite maison de ville, mais qui héberge sa petite fille Aki. Entre l'adolescence et l'âge adulte, la jeune femme cherche sa place, et gagne sa vie dans un peepshow. Osamu travaille comme main d'œuvre intérimaire sur des chantiers. Nobuyo dans une blanchisserie. Shôta s'occupe comme il peut et s'éduque plus ou moins seul en lisant, il lit énormément.

Ainsi Yuri, en fait Juri (Julie), va se voir renommée en Rin quand ses parents seront coincés par l'administration Japonaise, 2 mois après sa disparition, et donc un avis de recherche sera lancé. La famille va devoir se faire encore plus discrète pour ne pas attirer l'attention.

Au début, on ne comprend pas qui est l'enfant de qui, comment cette famille peut se retrouver à frauder ainsi, et à devoir voler dans les magasins afin de survivre. Mais tout s'éclaire au fur et à mesure qu'on suit chacun et chacune dans leur quotidien. Osamu sur son chantier, Nobuyo à la blanchisserie, Aki au peepshow. On verra même la mamie accueillir un administrateur un peu dégoûté de devoir faire cette visite. ici sera évoqué le fait qu'il vient certainement pour faire dégager la mémé afin d'investir dans l'immobilier. Le fait qu'il mette un mouchoir et reste proche de la porte d'entrée montre à quel point ça le dégoûte d'être ici, même si il est courtois.

On verra aussi les conditions de travail un peu délicate des intérimaires, notamment quand Osamu se blessera. Que dire aussi de Nobuyo qui aide ses collègues à pointer, mais qui sera victime de licenciement malgré tout, ici la collègue aura la mémoire courte et fera jouer le fait qu'elle a reconnue Rin/Juri. Ce n'est pas du spoil, c'est dans la bande-annonce. Vers la moitié du film, alors que tout semble bien se passer, un événement va retourner la situation et on en découvrira plus sur le passé des personnages ainsi que leurs vrais liens entre eux.

On constatera aussi que Hatsue est délaissée par sa vraie famille et en profite pour plus ou moins soutirer de l'argent à sa belle-famille. C'est compliqué, mais quand on voit qui sont ces personnes, et le fait qu'ils n'ont rien à foutre de leur fille aînée, ça fait bizarre. On verra le télescopage entre la société propre, lisse, et celle plus cachée, plus sombre du Japon.

Ce film à un rythme lent. Mais pas mou. En fait, le scénario et la réalisation le construise comme un puzzle. On se retrouve un peu perdu.e au début, et lentement, mais surement, on fait les liens entre les personnages. Ainsi Nobuyo et Aki sont demie-sœur, la première est mariée à Osamu, et on ne comprend pas quand Aki demande à Osamu si ils font l'amour et que ce dernier lui répond qu'ils sont liés différemment que par le bas. La réponse se trouvera à la fin du film.

Une fin qui traîne, mais qui répond à tout ce que vous avez pu vous demander. C'est stupéfiant, édifiant, mais on ne jugera pas les personnages car on a vu ce qu'ils étaient capables de faire. On aura vu qu'ils étaient bons. Pouvant offrir un vrai foyer, malgré leurs petits moyens, à une enfant maltraitée et non voulue par ses parents biologiques.

Et c'est là que le film est fort, très fort. Le ton employé n'est pas larmoyant, nope. On se prendrait même à sourire de ces instants de bonheurs simples qui arrivent parfois sans avertir. Ils sont pauvres ? Et alors ? Ils s'en sortent comme ils peuvent, sans faire de vague et sont heureux ainsi. Aki sert de support masturbatoire à des pervers ? Et alors, peu importe, elle trouve son bonheur à travers monsieur n°4, son client préféré. Shôta vole et a du mal à appeler son oncle papa ? Là aussi peu importe, il peut prendre son temps. Et tant que le magasin ne fait pas faillite, il peut voler.

Mieux, Shôta va prendre conscience, doucement mais surement, que voler n'est pas forcément bien. Le coup du parking et de la vitre brisée par exemple. Ou alors quand il prendra les oranges. Comme si il cherchait à faire stopper tout ça. Mais là j'en révèle peut-être un peu trop. Tout ça pour vous dire que le ton du film n'est pas dramatique. Au contraire, ils se savent imparfaits, mais vivent parfaitement ainsi. Que dire de cette scène où Rin va découvrir ce que font des parents aimants à leurs enfants ? On ressent un grand manque dans le geste de Nobuyo, qui s'expliquera à la fin du film.

Une fin qui, malgré la lenteur du rythme, malgré les 2 heures du film, arrive rapidement. On ne s'ennuie jamais devant ce film. Il y a assez de personnages pour tout le temps découvrir un truc. On ne cherchera jamais à vous faire pleurer malgré la vie franchement pourrie qu'ils ont. Le réalisateur (qui scénarise aussi) ne jugera jamais ses personnages, du coup on fait pareil. Quand on voit un enfant voler, on pourrait s'offusquer, condamner les parents, mais quand on découvre le foyer, impossible de les détester. Voilà une pépite du cinéma qui offre une vision différente du Japon sans jamais partir dans les extrêmes. Tout y est juste, et comme je l'ai déjà dit, le ton du film, réaliste, le rend très proche de l'excellent "La loi du marché". Les actrices et acteurs sont exceptionnels ici, et le film mérite largement sa Palme d'Or. Un film à voir au moins une fois, que j'ai adoré. Une grosse surprise.

@+

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