Cultivons la curiosité
naBan éditions est une jeune et petite maison d'éditions. Elle se concentre sur des œuvres souvent oubliées, mais pas forcément dénuées d'intérêt. Ainsi, elle se fit connaître via le financement participatif à succès de la saga "Old Boy". Un nom connu de tout le monde pour son adaptation cinématographique de Park Chan-wook. La maison d'édition compte aussi "Demande à Modigliani!", "17 ans, une chronique du mal" et "Give my regards to Black Jack". Seulement, c'est le 16 juillet dernier qu'un énorme coup fût réalisé. L'arrivée pour la première fois en France d'une mangaka populaire au Japon, à savoir TAKEMIYA Keiko.
Allez, je vous avoue que je n'avais jamais entendu parler d'elle avant cette sortie française. Peut-être car sa renommée se construisit dans les années 70-80 sur l'archipel ? Non, plutôt car son œuvre n'avait jamais été traduite dans notre belle langue, aucun éditeur ne prenant le risque d'offrir au public français un manga âgé de 44 ans, d'une personne totalement inconnue. Et c'est là qu'intervient la volonté atypique de naBan éditions, aller chercher cette pépite inconnue, qui pourra marquer le public francophone.
L'autrice remportera même le prestigieux prix Shôgakukan en 1979 pour ses deux œuvres que sont "To Terra..." (que nous voyons aujourd'hui et "Kaze to ki no uta"). Si ce prix ne vous dit rien, sachez que TORIYAMA Akira le remportera en 1981 pour "Dr. Slump", YÛKI Masami en 1990 pour "Patlabor", INOUE Takehiko avec "Slam Dunk" en 1994... et la liste est longue, ARAKAWA Hiromu en 2003 avec "FullMetal Alchemist", ONE pour "Mob Psycho 100" en 2017, enfin bon, je ne vais pas tout citer. Ce n'est donc pas n'importe quelle série qui arrive.
"Destination Terra" se présente sous la forme d'une série de 3 tomes, pour 12€ le livre. Mais, comme pour "Old Boy" de TSUCHIYA Garon, ce n'est pas un petit tome de 200 pages. Nope, 350 pages, et un format 13 x 18 centimètres fort approprié pour la taille du manga. La surcouverture est magnifique, et le papier, mama, le papier, on n'en touche plus de pareille qualité depuis que les éditeurs rognent sur tout pour ne pas trop faire gonfler les prix (en vain). Quand on voit l'épaisseur du papier de la réédition de "Slam Dunk", on se dit que 12€ pour une telle qualité, ce n'est pas cher payé.
Mais l'histoire, c'est quoi donc ? Déjà, la série est parue entre 1977 et 1980, donc vous verrez que le style des personnages est surprenant. Mais pas tant que cela quand on sait que l'autrice vient du Shôjô. Personnages fins, élancés, limite androgynes pour certains, la plongée dans cet univers de science-fiction rappelle pourtant plus "Cobra" de TERASAWA Buichi (de la même période). On est dans l'espace. L'Humanité a épuisé les ressources de la Terre (dans une année inconnue, avec des XXXX et 3XXX), et elle a fui, dans l'espoir de terraformer la planète... non, c'est bête dit ainsi, de rendre à nouveau la Terre habitable.
Afin de survivre dans l'espace et sur d'autres planètes en attendant, une société assez effrayante s'est mise en place. Les enfants sont élevés jusqu'à leur 14 ans par des parents adoptifs, en charge de les rendre bien obéissants. Un test de maturité est alors effectué, et en cas de réussite, l'enfant doit se démerder. En fonction de sa caste sociale, il pourra peut-être aller sur Terra, avec les VIP, l'élite. Mais dans les autres cas, il devra servir de main d'œuvre ou de soldat de défense et ne connaîtra jamais la vie sur Terra.
Bizarrement, on débute par la connaissance d'un peuple qui semble en exil de cette société. Le peuple de Mû. Ce sont des humains qui ont développé des pouvoirs psychiques sans le vouloir la plupart du temps. La société contrôlé par "Mother" (on sent l'inspiration du "2001, l'odyssée de l'espace" aussi sorti dans les années 70), un super ordinateur, qui a peur que ses enfants ne deviennent des psycho...psyché, bref, qu'ils développent des pouvoirs psychiques et soient difficilement contrôlable. Et justement, Jomy Marquis Shin est particulièrement difficile à contrôler.
Malgré les nombreuses tentatives de le faire rentrer dans le rang, le jeune ado ne cesse de se poser des questions et de défier l'autorité. Il fait des rêves étranges, avec une jolie femme et un homme qui répond au nom de Soldier Blue. On suit donc Jomy Marquis Shin dans ses questionnements, mais aussi sa fuite organisée par les Mû afin de remplacer Soldier Blue. Le peuple de Mû aura beaucoup de mal à accepter ce jeune homme, particulièrement effronté. Mais Soldier Blue, à la santé déclinante, le sait, c'est Jomy son remplaçant, sa puissance est telle qu'il mènera le peuple de Mû vers Terra.
Alors, il se trouve qu'après un premier tiers passionnant mais aussi un peu complexe à digérer, on fait un bond temporel et on change de personnages. Avec Keith Anyan, qui fait partie de l'élite et est très doué. Le lien se fera en fin d'arc si j'ose dire, avant de lancer enfin l'histoire. Car on va surtout apprendre à connaître l'univers et les personnages dans ce premier tome. Et il est assez effrayant. Entre l'humanité qui classe sans vergogne les plus intelligents et obéissants, tout en dénigrant les autres. Une humanité dirigée par une intelligence artificelle du nom de Mother. Et le peuple de Mû aux capacités extraordinaires, mais qui possède une condition physique déplorable. Du moment qu'ils obtiennent des pouvoirs, ils perdent en condition physique. Soit la vue, l'ouïe, un membre comme un bras. Ce n'est pas folichon croyez-moi.
Heureusement, malgré son caractère bien trempé (ce qui le rend ultra attachant), Jomy a tous les atouts des Humains et des Mû. Il a une grande responsabilité, celle de mener un peuple vers sa terre promise (euh, ça me rappelle quelqu'un ça), et semble accepter son destin en fin de tome. En parallèle on découvre Keith, lui aussi une forte tête, mais il est plus subtil et capable de se contrôler, ce qui lui permet d'intégrer l'élite. On devine aisément que la rencontre est inexorable.
Il se trouve que le milieu de ce premier tome déstabilise. On a appris à apprécier Jomy, et au moment où l'histoire se lance, on change de personnages et de point de vue. Je ne sais pas si j'ai lu trop vite, mais le bond dans le temps ne semble pas indiqué. Pourtant, on garde le même rythme et la même fascination pour ce monde que l'autrice nous offre. Loin d'être parfaite, cette société humaine est même effrayante.
Le récit est très portée sur la science-fiction. Et c'est très plaisant. Les dessins sont à tomber, et le design des vaisseaux nous fait bien dire que nous sommes en 1977. Ils sont pourtant loin d'être ridicules je trouve, et on retrouve l'imagerie de la S-F des années 70 très plaisante à mes yeux. Mais ce qui marque le plus, ce sont les personnages. Attachants tout en ayant un fort caractère, on perçoit aisément leurs émotions, et même questionnements. Il y a aussi un message philosophique derrière tout ça. Écologique aussi. Le coup de lâcher les enfants après leur examen de maturité, le fait qu'il faille bien se comporter dans une société épurée de tout sentiment. On frôle même l'anticipation d'un monde contrôlé par des êtres froids.
Enfin bon, je m'égare. Oui, ce manga ne fait pas ses 44 ans. Il est savoureux, plaisant à parcourir, mais ne se lit pas en 15 ou 20 minutes. On prend le temps de le lire, comme un bon livre. Malgré un milieu de tome qui semble vouloir changer les choses, l'autrice retombe sur ses pattes à la fin, promettant un tome 2 incroyable. Je n'aurai jamais cru apprécier autant ce "Destination Terra", pourtant, comme "2001, l'odyssée de l'espace", il pousse à se poser des questions, à travers des personnages que l'on apprécie suivre. Bref, j'ai adoré et vivement la suite.
@+
Destination Terra - Volume 1 | Naban Éditions
Format : 13 x 18 cm- Auteur : Keiko Takemiya - Pages : 350Dans un futur où toutes les ressources naturelles de Terra ont été épuisées, des colonies interstellaires ont été créées pour perm...
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