Cultivons la curiosité
Il existe des destins hors normes, qui fascinent. Des personnes tellement charismatiques, en proie à moult rumeurs, qui passionnent le public. Des touches à tout aussi beaux parleurs que talentueux. Vous pouvez posséder les meilleures idées du monde, sans aplomb et grande gueule, vous n'arriverez à rien. Ainsi, Tristant Séguéla et Olivier Demangel eurent une idée. Celle de parler d'un homme aussi attractif que repoussant. Au départ simple projet de film, Netflix fera transformer cette idée en mini série.
Lors de l'annonce de cette mise en chantier, le nom de Laurent Laffite fût indiqué pour interpréter Bernard Tapie. Pour moi, Laurent Laffite est avant tout un comédien jouant dans des films légers, je pense notamment à "De l'autre côté du périph" avec Omar Sy. J'ignore pourquoi, mais je l'imaginais mal en charismatique vendeur/homme d'affaire/politique/chanteur/présentateur. Oui, ça en fait des choses. Lorsque je lance la série, c'est "juste pour voir". Et il se trouve que la surprise fût d'autant plus puissante que je ne m'attendais à rien. Petite bande annonce.
Vidéo de Netflix France
Nous voilà parti.e.s pour 7 épisodes d'un peu moins de 50 minutes chacun. Sachez, tout d'abord, que la série s'arrête là où elle commence. Ceci ne veut rien dire. Mais les premières minutes nous montre Bernard Tapie entrant dans sa cellule de la prison de la Santé en 1997, pour mieux remonter le temps. Nous allons donc suivre le parcours de ce personnage atypique, de ses débuts comme chanteur à la fin des années 60, jusqu'à son sommet de 1993, qui correspond aussi à sa chute.
Bernard Tapie (Laurent Lafitte) est content, il va passer à la télévision, et toute sa famille et ses amis sont là pour voir ça derrière le poste cathodique en noir et blanc. On comprend qu'il l'a emprunté à son travail, où il vend ces mêmes téléviseurs. Son rêve est de devenir connu, une star, et de se sortir de cette vie banale de banlieusard Parisien. Il passe a une sorte de télé crochet, où Michel Polnareff (encore inconnu) se trouve. Si ce dernier ne semble pas plaire au jury, trop moderne certainement, Bernard Tapy (pour faire plus vendeur) obtient d'excellentes appréciations de ce même jury.
On devine rapidement que le jeune homme (il a 25 ans) cherche la reconnaissance de son paternel. Jean-Baptiste (Patrick d'Assumaçao) est un ancien ouvrier, qui est artisan chauffagiste (ou plombier, je ne sais pas trop). Seulement, le monde de la chanson ne lui parle pas trop. On voit dès ce premier épisode la galère dans laquelle le jeune homme a tendance à se mettre. Ainsi que sa capacité de convaincre les autres par son verbe.
Alors qu'il est au fond du gouffre, il va rencontrer Marcel Loiseau (Fabrice Luchini), un investisseur capable de broyer quiconque ne tient pas ses engagements, mais qui pourrait lui permettre d'obtenir le capital nécessaire à lancer un projet révolutionnaire. Vous payez un abonnement mensuel, et vous pouvez obtenir accès au dernier cri de l'électroménager mais aussi du divertissement, au meilleur prix. Bernard Loiseau fait un énorme chèque, et voilà Bernard Tapie à la tête d'un magasin qui va bien fonctionner. Lui permettant même de s'offrir la Ferrari que son ami Farid Bentarek (Hakim Jemili), garagiste, avait en vente.
Sa vie familiale est heureuse, il a une fille, Stéphanie, mais quelque chose s'est passé avec la secrétaire de Loiseau. Dominique (Joséphine Japy) est une belle femme, et on sent que le coup de foudre a eu lieu entre les 2, qui vont se tourner autour. Bernard Tapie lui-même aura peur de tromper sa femme. Cependant, on devine aisément ce qu'il va se passer. Ce qui est appréciable ici, c'est que le personnage ne passe pas pour un gros porc de mec qui veut "sauter" une jolie femme. Non, on sent vraiment le coup de foudre entre les deux, qui fera exploser le cercle familial Tapie.
Tout ceci arrive lors du premier épisode. Ça donne le ton de la série. On ne s'ennuie pas un seul instant. La distribution, en plus de s'offrir des grands noms, Laurent Laffite, Joséphine Japy, Fabrice Luchini en Bernard Loiseau, joue à la perfection. La réalisation est efficace, claire, et permet de rester attentif (ou attentive) tout le long des épisodes. Le point paradoxal de cette série tient dans son scénario.
On nous précise d'emblée, par un carton qui introduira les 7 épisodes, que si les frasques publiques de Bernard Tapie sont connues, les dialogues, les échanges, les réactions, qu'elles soient du personnage principal ou des secondaires, sont fictifs. Le souci est que c'est tellement bien écrit, les personnages étant les vrais, que l'on oublie un peu vite le fait que c'est une fiction. Surtout que le récit nous brouille avec la re-création de moments emblématiques de la vie du personnage principal.
Son passage dans la chanson, Cœur Assistance, Wonder, le Phocéa, son passage express au gouvernement de François Mitterand, le débat contre Jean-Marie Le Pen. Puis évidemment son passage comme président de l'Olympique de Marseille. Bref, autant d'événements connus par les gens qui ont vécu dans les années 60 à 90. La reconstitution des émissions de télé est exceptionnelle. Comme pour "Réussite" (de son vrai nom "Ambitions", mais pour des questions de droit je suppose, ce nom n'est pas utilisé ici), et la première au Zénith. Où sera refaite l'introduction en plan séquence suivant Bernard Tapie des coulisses du Zénith jusqu'à la scène.
Bref, les scénaristes s'amusent à brouiller les cartes de la fiction et de la réalité avec un peu trop de talent, et ceci peut effectivement gêner. Non pas dans le sens où c'est mal fait, surréaliste ou je ne sais quoi. Mais dans le sens où on constate une chose, et on se dit : "punaise, il a fait ça, il est fou" en oubliant que ce n'est pas forcément ainsi que cela s'est passé. On prend pour réel ce qui ne l'est pas forcément, et des téléspectatrices/téléspectateurs peu regardant.e.s prendront tout pour la réalité. Il est vital ici de se dire que nous sommes face à une fiction. Bien que les créateurs parlent de "50% vrai", le chiffre est inquantifiable.
La série s'achève donc par l'affaire "VA-OM", avec un dernier épisode en grande partie pris par "l'affrontement" Berand Tapie - Éric de Montgolfier (David Talbot). Deux hommes dans le bureau sombre du procureur en charge de cette affaire de corruption. Les acteurs y sont incroyables, et voir le personnage de Bernard Tapie s'enfoncer dans ses mensonges, face à la fausse naïveté du procureur, montre comment le "héros" se croyait intouchable. Et on peut voir ici le sommet de la série. Arriver à nous sortir une telle tension, un dialogue qui a dû être complexe à écrire, c'est fort. Moins dynamique que le reste de la série, ça plombe un peu le rythme, mais la scène est longue, brillante.
Vous l'aurez compris je pense, j'ai adoré. Je n'aurai pas cru me retrouver captif d'un tel récit. Nous sommes loin des exagérations auxquelles les productions françaises nous ont habitué. Ici, Bernard Tapie n'est pas décrit comme une grosse raclure. Le ton employé est juste, respectueux, sans pour autant omettre le fait qu'il a été aveuglé par le succès, lors de moment clés. Laurent Laffite y est bluffant de ressemblance, oui, ce n'était pas gagné à mes yeux pourtant. Son interprétation impressionne, il arrive à être aussi magnétique et charismatique que l'homme que l'on connaissait. Le seul défaut est que la frontière entre fiction et réalité et brouillée avec trop de talents de la part des scénaristes, résultat, on va avoir tendance à croire pour acquises certaines paroles qui n'ont probablement jamais été dites. Sinon, c'est à voir, fascinant.
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